Une nuit sur l’eau noire, face à « Iddu »,
Le volcan qui gronde comme un lion,

J’ai touché ce point de silence où les humains s’inclinent
Devant l’abîme qui défaille.

Terre,
Profondeur de l’enracinement incandescent,
Flammèches rouges dans la nuit.

Eau,
De la mer noire surgit Stromboli,
Île par l’onde encerclée jusqu’aux abysses.

Feu,
Vibrations telluriques, chant furieux qui explose
En basalte ou porphyre, rouge, jaune, scories, fumerolles.

Air,
L’or de la lune accompagnait Stromboli cette nuit-là,
Ses pizzicati de lumières chtoniennes, telle un soleil.

Les toiles exposées font suite à une expérience radicale vécue au printemps dernier. L’eau noire, la nuit, à quelques mètres de la « Sciara del Fuoco », cet espace immense de lave noire, chemin des profondeurs de la terre qui gronde : « Iddu », « lui », le volcan, de nuit, sur une frêle embarcation. Là j’ai compris que Stromboli, noir, qui surgit de la mer noire, qui gronde, qui lance ses flammèches rouges dans le grand silence de nos angoisses a pu être considéré comme un dieu, bien sûr. C’est une expérience archaïque, qui fait bien plus discours que l’accumulation des livres d’anthropologie. Ou plutôt, on comprend pourquoi tous ces livres furent écrits : pour cerner quelque chose du mystère de ce qui nous relie à la terre, d’une part, à nos frères humains dans la frêle existence d’autre part. Il y a quelque chose de profondément humain dans l’humilité radicale de notre condition.

Devant la puissance de « Iddu », souveraine, hors de mesure, l’étendue de notre fragilité nous fait plier le genou, une révérence intérieure, ontologique, qui marque la reconnaissance de plus grand que soi, infiniment plus grand que soi. Blaise Pascal est la basse continue -comme on le dit en musique – de mes lectures. Il parle de la misère de l’homme sans Dieu, et du désir d’absolu, du désir humain comme gouffre infini qui ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu même. L’expérience archaïque de nuit devant Stromboli m’a précisément fait toucher ce point où l’abîme défaille, ce point de silence où l’étranger à côté de soi dans l’embarcation devient un frère humain.

La permanence de ce point, son universalité, est la source des spiritualités. La recherche des hommes s’ancre sur cette rive où ne pas défaillir. Cela s’appelle le questionnement métaphysique, les questions existentielles, la quête de sens, l’aspiration à être relevé par plus grand que soi. Cette recherche, beaucoup l’ont menée, en sentinelles. La dernière publication de l’artiste et philosophe Esther Ségal Le Sentier des étoiles l’explore avec souffle et minutie, inspiration et liberté.

— Cyb